On ne voyait que le bonheur.
édition Jean-Claude Lattès – 360 pages.
Parution : 21 août 2014.
Présentation de l’éditeur :
"Une vie, et j’étais bien placé pour le savoir, vaut entre trente et quarante mille euros.Une vie; le col enfin à dix centimètres, le souffle court, la naissance, le sang, les larmes, la joie, la douleur, le premier bain, les premières dents, les premiers pas; les mots nouveaux, la chute de vélo, l’appareil dentaire, la peur du tétanos, les blagues, les cousins, les vacances, les potes, les filles, les trahisons, le bien qu’on fait, l’envie de changer le monde.Entre trente et quarante mille euros si vous vous faites écraser.Vingt, vingt-cinq mille si vous êtes un enfant.Un peu plus de cent mille si vous êtes dans un avion qui vous écrabouille avec deux cent vingt-sept autres vies.Combien valurent les nôtres?" À force d’estimer, d’indemniser la vie des autres, un assureur va s’intéresser à la valeur de la sienne et nous emmener dans les territoires les plus intimes de notre humanité.Construit en forme de triptyque, On ne voyait que le bonheur se déroule dans le nord de la France, puis sur la côte ouest du Mexique. Le dernier tableau s’affranchit de la géographie et nous plonge dans le monde dangereux de l’adolescence, qui abrite pourtant les plus grandes promesses.
Mon avis :
Mon premier coup de coeur de la rentrée littéraire 2014 ! Acheté le 21 août, lu dans la foulée, j’ai eu plus de mal à rédiger ma chronique. J’ai donc attendu, ne serait-ce que pour voir quel souvenir il me resterait de cette lecture. Il est parfois des lectures qui plaisent, et une fois le livre refermé, des détails, des effets émergent, dérangent, et rendent l’avis bien plus critique.
En dépit de ces trois semaines de recul, j’affirme toujours que ce livre est un coup de coeur, ce qui ne signifie pourtant pas que les personnages me soient sympathiques – à une exception près, la narratrice de la troisième partie. Je me souviens qu’à la lecture, je suis revenue plusieurs fois en arrière, non parce que le livre était difficile à lire, mais parce que certaines phrases trouvaient leur résonance en moi, tant elles étaient d’une infinie justesse.
On ne voyait que le bonheur est pour moi un roman sur la filiation, la transmission. Pourquoi Antoine, le narrateur, est-il né ? "Pour mettre une certaine distance entre le monde et eux", dit-il à propos de ses parents. Quel amour a-t-il reçu ? Aucun. Sa mère a repris sa vie, exactement, comme avant, son père également, forçant leur fils et la jumelle survivante à s’unir pour grandir – pour essayer, du moins. Que leur a transmis leur père ? Sa capacité à trouver toujours une solution de facilité – périphrase pour désigner sa lâcheté. Trouver une mère de substitution, envoyer ses enfants en colonie de vacances au lieu de se retrouver seul avec eux, donner des nouvelles de leur mère au lieu de lui rendre visite.
Adulte, le narrateur ira encore plus loin que son père dans cette "lâcheté", son seul acte de courage étant la conquête, puis la reconquête de sa femme. J’ai cherché un autre terme pour la qualifier (maitresse ? femme fatale ?), elle qui ne pensera jamais qu’à elle-même, y compris quand ses enfants auront le plus besoin d’elle. Aussi, la troisième partie, qui montre la reconstruction de leur fille reste pour moi la plus réussie, même si je n’ai pas cru en la fin du roman.
Reste la seconde partie, la plus faible, la moins crédible à mes yeux, sans doute parce que je n’éprouve aucune compassion pour le narrateur. J’ai coutume de dire que "tout acte de paresse pourra t’être reproché" – et sa vie en est parsemé, tout ce qu’il n’a pas eu le courage d’affronter aurait pu se retourner contre lui, et pourtant, avec des années de "ratage" (et là, je suis à deux doigts d’utiliser l’ironie en ce qui concerne certains détails sordides de la seconde partie), il parvient à reconstruire une vie différente, une vie "sans coût", lui qui a passé son existence à évaluer celle des autres.
On ne voyait que le bonheur, ou un livre pour aller au-delà des apparences et des clichés.