Présentation de l’éditeur :
En 1933, Thomas Mann quitte Munich pour un voyage d’agrément en Suisse, avec sa femme Katia et les petits. Pendant ce temps, dans la patrie, le monde s’écroule. C’est le début de l’exil… Un exil d’abord résigné, jusqu’à ce jour de février 1936 où Thomas Mann se résout à condamner publiquement le régime nazi dans une lettre qu’il destine au Neue Zürcher Zeitung.
Lorsque le roman s’ouvre, Thomas Mann pénètre dans l’enceinte du journal pour remettre la lettre à son ami Korodi, mais ce dernier est souffrant et la publication retardée de trois jours. Trois longs jours durant lesquels le doute va s’emparer de lui. Peut-on continuer à être un écrivain lorsqu’on a perdu la reconnaissance de sa patrie, de ses lecteurs ? En tant que père a-t-on le droit de mettre en péril la vie des siens ?
Mon avis :
J’ai longtemps hésité avant de lire ce roman, et maintenant que je l’ai fait, je ne le regrette pas du tout.
Thomas Mann est au coeur de ce roman. Il vit en Suisses, ses vacances de quelques semaine se sont transformées en années d’exil. Il n’est pas à plaindre, il mène une vie sans trop de soucis financiers, avec sa femme, Katia (qui veille sur le budget), ses deux derniers enfants, qui reviennent régulièrement de pension, et son chien Toby. Une vie paisible, sereine, bien réglée, y compris dans l’acte d’écrire, une vie que nous raconte Britta Böhler sans qu’elle nous paraisse ennuyeuse.
Thomas est également le père d’Erika et de Klaus Mann, deux personnes qui me fascinent. Eux se sont engagés, très tôt. Erika a pressé leur père, Thomas, de s’engager à son tour en condamnant la politique menée par Hitler. Il l’a fait, dans une lettre, au début de ce livre, mais il recule sa publication. Il a trois jours pour prendre sa décision. Thomas Mann a tout : une famille heureuse, des livres qui se vendent bien, du moins en dehors de l’Allemagne , une reconnaissance internationale qui connut son point culminant avec le prix Nobel de la paix. Il est relativement protégé, et ne semble pas courir de risques personnels dns l’immédiat. Il a aussi su mettre les siens à l’abri – pour combien de temps ? Au moment où s’ouvre le récit, il semble que plus aucun Mann ne vive en Allemagne. Thomas a su également mettre à l’abri ses secrets. Je pense notamment à cette malle, pleine de ses journaux intimes, que son second fils Golo lui a envoyé à a demande et qui, en dépit d’un contrôle minutieux, parvint à destination. Il nous permet de nous intéresser à e qu’est la richesse – biens matériels, or, argent pour les uns, fruits de l’esprit pour les autres.
Au cours de ses promenades, de ses déambulations dans sa maison, Thomas revit des épisodes de son passé – son amour pour Katia, la première guerre mondiale, sa tournée promotionnelle aux Etats-Unis – et s’interroge sur la notion de l’engagement, question centrale de ce roman. Nous voyons d’un côté les auteurs qui ont adhéré aux idées du nazisme, avec délectation parfois, et ceux qui furent mis à l’index, dont les livres furent brûlés. Nous voyons le dégoût de Thomas Mann, son incompréhension envers ceux qui furent ses amis – il n’attendait déjà plus rien de la part de ceux qui s’acharnaient sur ses écrits.
La décision est le récit de cette lutte intime, intellectuel, sans bruit, sans fracas. Katia, sa femme, soutient Erika leur fille aînée dans son combat pour pousser son père à s’engager. Elle le connaît si bien qu’elle fait exactement ce qu’elle doit faire, en douceur, par d’infimes changements dans leurs habitudes, pour montrer ce qu’elle pense.
L’engagement, c’est aller jusqu’au bout. L’esprit d’un pays peut survivre au-delà de ses frontières. C’est par ces deux messages, optimistes malgré tout, que je souhaite conclure ce billet.