Les délices de Tokyo
Edition Albin Michel - 238 pages.
Mon résumé :
Sentaro est un vendeur de dorayaki (pancakes fourrés d’une pâte de haricots rouge, le « an »). Il travaille dans cette boutique pour rembourser une dette, sans passion particulière pour la pâtisserie. Un jour, une vieille dame se propose de l’aider à confectionner le « an ». Les ventes augmentent progressivement. Jusqu’à quand ?
Mon avis :
Présenté ainsi, le roman pourrait nous faire penser non pas à une romance sirupeuse (la vieille dame pourrait être la grand-mère de Sentarô) mais à un roman feel good, sans beaucoup de profondeur, nous montrant l’importance du travail bien fait, le tout sous les cerisiers de ce quartier de Tokyo. Oui, on pourrait le croire, tant le lecteur se trouve plongé dans l’art de confectionner la pâte de haricots rouges, du soin qui est nécessaire pour parvenir à faire une pâtisserie non pas originale, mais qui a du goût, et donne envie d’en manger une autre. Si ce biais est pris, c’est pour nous entraîner vers un sujet plus profond, qui nous fait découvrir une réalité du Japon que j’ignorais totalement avant de lire ce livre, réalité qui m’a fait penser au roman Bones to Ashes (Meurtres en Acadie une fois traduit) de Kathy Reichs.
Ce que je peux vous en dire, sans dévoiler le noeud de l’intrigue, est que les préjugés sont vivaces, et tenaces, même pour Sentarô. Il a beau apprécié beaucoup Tokue, la vieille dame, il ne peut s’empêcher d’avoir certaines craintes, qui le tourmentent, et qu’il surmonte – pas toujours complètement, il est vrai. Sentarô est humain, donc complexe, et c’est toujours plus intéressant de découvrir un personnage ainsi fait qu’un personnage sans peur ni doute. Sentarô doit aussi faire avec son passé, ses dettes (d’argent, d’honneur) tout en reprenant sa vie en main. Il est plus facile de se plier aux ordres que de dire non.
Le second personnage féminin important, après Tokue, est Wakana. Elles se distinguent des autres collégiennes et lycéennes qui, telle une volée de moineau, viennent manger un dorayaki, papotent et reprennent leur envol vers leur établissement scolaire ou leur domicile. Elevée par une mère seule, portée sur la boisson, qui amène parfois des hommes à la maison en cachette de sa fille, Wakana (c’est son surnom) ose poser des questions à Tokue, notamment sur la cause des déformations de ses doigts, de son visage, en partie paralysé, question que le bien éduqué Sentarô n’aurait jamais posées. Contrairement à d’autres, Wakana n’a pas le choix, et doit prendre son avenir en main – bien plus tôt que ne l’a fait Sentarô.
Tokue nous fait découvrir un passé que l’on aimerait révolu, qui ne l’est pas encore tout à fait. Elle nous parle de la guerre, que nous envisageons toujours de notre point de vue, de la vie dans les villages de la campagne japonaise, de la survie aussi – et de la religion. Parler de « leçon de vie » me semble une expression trop connotée pour parler de ce que les mots, les pensées et les attitudes de Yokue dégagent. Je dirai donc une leçon d’espérance dans un monde où le profit et l’apparence dominent.
N’hésitez pas à découvrir les délices de Tokyo à votre tour.