Havre Nuit
Edition Belfond - 224 pages.
Présentation de l’éditeur :
Une étudiante prend un homme en auto-stop sur une aire d’autoroute, un soir de 31 décembre, et entraîne l’inconnu dans une fête au Havre. Le lendemain, elle apprend le meurtre sauvage d’une fille qu’elle avait aperçue au cours de la soirée. Quelques années plus tôt. Laszlo est inscrit à la Sorbonne. Il sèche les cours et, au bistrot, observe une étudiante penchée sur ses cours de criminologie. Laszlo est amoureux mais c’est avec d’autres filles à la peau diaphane qu’il passera ses nuits. Il n’oubliera jamais Alice, devenue inspectrice. À défaut de la posséder, il laissera sur ses scènes de crime ce que seule Alice pourra trouver.
Mon avis :
Je n’ai pas lu La petite Barbare, et je ne pense pas lire ce premier roman d’Astrid Manfredi. Ce qui m’a attiré dans ce second roman est le fait que l’action se passait au Havre – la couverture du roman évoque d’ailleurs à mes yeux la géographie de cette ville, détruite puis reconstruite. Le roman se nomme « Havre nuit », il aurait pu s’appeler « Havre noir », tant le récit ne donne pas une image heureuse de cette ville.
Il est l’histoire de deux solitudes que rien ne vient réunir. Nous ne sommes pas dans un roman sentimental mais dans un roman policier noir et désenchanté, avec des aller-retours Le Havre/Paris, pour les études, pour les enquêtes. Laszlo et Alice sont tout d’abord deux enfants que leurs mères n’ont pas su (ou pu) aimer. Laszlo n’a pas été désiré, il n’a même pas servi à retenir son père, mort jeune, comme une icône de papier glacé. La mère d’Alice, malade, s’est pendue quand sa fille avait sept ans, ne supportant plus les souffrances que sa maladie lui faisait endurer. Rien n’est pire pour un enfant que de comprendre qu’un de ses parents a choisi de le quitter volontairement. Et tout l’amour, sincère, de son père, n’a pas entièrement compensé ce manque, ce vide si présent.
La solitude de ces deux êtres qui se sont croisées, frôlées, qui se sont souvenus mutuellement l’un de l’autre leur vie durante nous est contée par un narrateur (nous découvrirons son identité à la fin du récit) omniscient et extérieur à l’intrigue. Celuic-i fait la jonction entre ses deux êtres qui n’ont pas pris le temps de s’aimer et de se le dire, promenant leur jeune étrangeté dans le Paris estudiantin – comme si un amour entre eux était possible. Aimer prend du temps, s’aimer, s’estimer soi-même aussi – si l’une reste, l’autre préfère la suite et la satisfaction de ses pulsions. Le narrateur a de la tendresse pour eux, qu’il tutoie, du respect pour leurs parents respectifs, pour le père d’Alice, surtout, qui a trop de souvenirs pour parvenir à vivre avec eux.
Roman policier ? Oui et non, puisque nous connaissons le tueur, nous connaissons l’enquêtrice même si son milieu professionnel ne lui fait pas confiance, en tant que femme surdiplomée. Nous connaissons les victimes auxquelles le tueur ôte leur humanité. Nous connaissons les femmes qui ont été tuées par le biais d’Alice, qui essaie de leur rendre leur humanité, de reconstituer leur passé, leur rêve aussi. Plus qu’un roman policier, nous sommes quasiment dans une tragédie, tant le déroulement de l’intrigue semble inéluctable, Laszlo et Alice étant chacun prisonnier de ses pulsions, de ses névroses. A aucun moment, il ne semble possible, ni pour l’un, ni pour l’autre, (pour moi, les deux personnages sont liés) de suivre une autre voie. Et pendant que je l’écris, mon constat me semble très pessimiste, comme une nouvelle défaite pour les femmes.
Havre nuit, un roman noir et désespéré.