L'écart
édition Globe – 330 pages.
Présentation de l’éditeur :
Grande, fine, intrépide et avide de passion, elle vacille, tel un petit navire dans la tempête, elle hésite entre deux destins : se laisser emporter vers le sud, vers ce Londres qui brille, dans la nuit violente qui fait oublier le jour où l’on est trop seul, où tout est trop cher, où le travail manque.
Ou se fracasser contre les falaises de l’île natale, dans cet archipel des Orcades battu des vents dont la vie rude lui semble vide et lui fait peur.
Elle l’ignore encore mais il existe une troisième voie : écouter résonner l’appel qui la hante, qui vient toucher cette part d’elle assoiffée de grand large, de grand air, de grande beauté. Non pas rester mais revenir. Choisir.
Troquer la bouteille assassine contre une thermos de café fort, troquer l’observation narquoise et éperdue de la faune des nuits de fêtes tristes pour la contemplation des étoiles et des nuages, et l’inventaire des derniers spécimens de râle des genêts, un oiseau nocturne comme elle, menacé comme elle, farouche comme elle.
Mon avis :
Décor : les Orcades. Puis Londres. Puis les Orcades à nouveau.
Personnages : une famille de fermier. Un père qui ne va pas très bien. Une mère qui tente de maintenir le cap, avant de demander la séparation. Un fils. Une fille dont la naissance a déclanché une crise psychotique chez le père. C’est elle qui tient la plume. C’est elle qui, à dix-huit ans, a tenu à quitter ces îles, parce que sa vie était ailleurs, loin.
S’ensuivent des années, non pas de décente aux enfers, ce serait trop facile de parler ainsi, surtout que l’auteur ne cède pas à la facilité, douze années pendant lesquelles elle travaille, ou cherche du travail, sans que son métier ne lui apporte beaucoup d’épanouissement. Surtout, ce sont des années où elle sombre de plus en plus dans son addiction pour l’alcool, avant de tenter de s’en sortir. Ces cent premières pages sont lucides, l’auteur de ce récit – car nous sommes bien là face à un récit plus qu’à un roman – ne s’épargne pas, et même s’il ne lui est rien arrivé de trop grave, parce qu’elle a eu beaucoup de chance, parce qu’elle avait un ex, des amis, qui l’entouraient en dépit de toutes les situations bordeline dans lesquelles elle s’est trouvée, elle a souvent frôlé le pire. Lucidité, oui, ce qui ne signifie pas complaisance face à ce qu’elle a fait.
Parce que, pour s’en sortir, pour tenter de ne plus, ou de moins penser à l’alcool, le chemin qu’elle suit inclus le retour dans ces îles des Orcades qu’elle pensait pourtant ne pas revoir, ou du moins, revoir après avoir réussi pleinement sa vie de londonienne. A nouveau, ne faisons pas d’erreur, nous ne sommes pas là dans une gentillette romance, dans laquelle les vents vivifiants, les souvenirs tendres d’enfance permettront à l’héroïne de s’en sortir et, qui sait ? de trouver l’amour. Non ! La narratrice nous montre que l’addiction, finalement, ne peut être remplacée que par une autre addiction – et elle énumère ce à quoi elle est accro, la cigarette, ou internet. Vivre à Parray ne signifie pas être coupé du monde, et le développement des réseaux permet justement à ces îles de rester peuplée – j’ai pensé au livre les chants du large d’Emma Hooper qui parle aussi de la vie insulaire, sans, hélas, que les habitants de ces îles canadiennes parviennent à vivre, voire à survivre.
Toute la problématique est là : ceux qui vivent aux Orcades veulent rester aux Orcades, parce qu’ils aiment sa nature, parce qu’ils veulent tout faire pour qu’il soit possible d’y élever des enfants, quel que soit le métier des parents. Le père de la narratrice poursuit vaille que vaille l’élevage des moutons, et d’autres avec lui osent vivre, finalement, la vie qu’ils désiraient. Nous découvrons leur vie, bien loin des clichés que l’on peut en avoir, en des pages à la fois pleines de réalisme et de poésie.
Une tendre réussite.