Pour un sourire de Milad
Edition Scrineo – 296 pages
Présentation de l’éditeur :
Thisbée est une adolescente joyeuse et bienveillante, partagée entre ses amis, ses cours et ses problèmes familiaux. Elle vit très mal le divorce de ses parents et la séparation avec sa jumelle, Juliette, qui est partie dans un autre lycée. Elle tombe sous le charme de Milad, un réfugié syrien que sa classe vient d’accueillir.
Mon avis :
Le livre d’une époque.
Une époque que l’on ne voudrait plus voir.
Une époque que l’on ne veut pas voir, même si nous sommes en plein dedans.
Quand ai-je entendu parler pour la première fois des mineurs isolés ? En 2016. Par des collègues d’un autre établissement, qui avaient des mineurs isolés dans leur classe et qui se montraient très protecteurs à leur égard. Puis, j’ai appris qu’un foyer de mineurs isolés se trouvait à une trentaine de kilomètres de chez moi. J’ai lu aussi le poignant et pas assez connu Une fille dans la jungle de Delphine Coulin . Voici pour mon parcours.
Celui de Thisbée est autre. Elle est une jeune fille ordinaire, ou presque. Elle fait partie de ses bonnes élèves qui ne se mettent pas en avant pour ne pas se faire remarquer des professeurs mais aussi des élèves pas toujours bienveillants, pour ne pas dire pas du tout. Thisbée entre au lycée, et c’est pour elle une première séparation : Juliette, sa soeur jumelle, a choisi d’être scolarisée dans un autre établissement, parce qu’elle préférait les options qui y étaient présentées. Elle retrouve pourtant deux amis, l’excentrique Antoine, et Sonia, geek de son état. Thisbée est très forte pour analyser finement les relations entre les ados, leur évolution, les changements de comportement entre le collège et le lycée, où les ados s’assument davantage qu’au collège. Forte, ce qui ne veut pas dire qu’elle agit avec forfanterie. Elle se rend aussi parfaitement compte des différences entre les professeurs qui enseignent dans son lycée – et je suis assez d’accord avec elle, certains sont merveilleux, une autre tient exactement le discours que l’on m’a tenu en 1990.
Arrive Milad. Il est un « mineur isolé », et il se retrouve jeté dans le monde du lycée. Nous le découvrons à travers le regard de Thisbée, regard juste, regard bienveillant, regard qui deviendra regard amoureux bientôt. Mais chut ! Il serait horriblement réducteur de lire ce livre comme une banale romance entre ados, comme une simple confrontation entre deux adolescents venus d’univers différents. Ne serait-ce que parce Milad aussi est un personnage bienveillant. Oui, son histoire est poignante, oui, nous découvrons son parcours pour arriver jusqu’ici et surtout, le vide qui entoure l’accueil de ses enfants, de ses ados, de ces jeunes que l’on regarde comme des gêneurs, voire des terroristes en puissance. Oui, j’écris à l’emporte pièce, mais quand on se décide à parler d’eux, ce sont quasiment les seules représentations que l’on en a. Bref, ses êtres humains isolés sont considérés globalement, jamais respectés dans leur individualité.
Alors oui, le fantastique fait son apparition dans le roman, et le lecteur gagne du temps, considérablement, parce que les personnages qui y sont confrontés l’admettent peu à peu, comme une dimension nécessaire pour que Milad puisse renouer avec son passé, et son présent : sa soeur Yasmine.
En contrepoint, la vie de Thisbée, qui « explose » parce que ses parents se séparent. Ce n’est pas facile, parce que ses parents construisent, chacun de leur côté, une nouvelle famille, ils sont heureux, déjà, alors que Thisbée et sa soeur doivent subir, comme dans tout divorce, ce que les parents ont décidé pour elles, oubliant qu’elles n’ont plus l’âge (y compris d’un point de vue légal) que l’on décide de tout pour elles. Les parents doivent ainsi composer avec une fille qui n’est plus l’enfant obéissante qui leur apportait toute satisfaction, une enfant qui veut aussi plus de liberté. Des parents trop occupés par leur propre histoire, par leur famille qui n’a jamais connu de crise pour faire immédiatement les meilleurs choix – parce qu’il faut aussi gérer la gémellité.
Nous sommes dans un espace romanesque, et je ne dirai pas que la fin est ouverte, je ne dirai pas que tout est résolu, je dis simplement que nous sommes dans un moment de vie très important pour Milad, pour Thisbée. Je ne peux cependant oublier, en contrepoint, les rouages implacables de la justice et de la protection de l’enfance : même l’éducateur le plus bienveillant peut se retrouver submerger par le nombre de dossiers dont il a la charge.
Le livre s’arrête, mais la postface est à découvrir, pour aller plus loin.