Lucky man
Edition Albin Michel - 330 pages
Présentation de l’éditeur :
Un adolescent cherche par tous les moyens à se prouver qu’il est devenu un homme, quitte à mettre en danger son petit frère influençable ; le temps d’une excursion avec le centre aéré, un gamin des quartiers pauvres découvre la réalité des classes sociales ; à l’occasion d’un stage de capoeira, deux frères tentent de renouer et d’oublier la violence de leur passé familial …
Mon avis :
Allez, je me lance pour l’écriture de cet avis sur un genre qui n’est pas mon genre de prédilection : les nouvelles. Il s’agit ici du tout premier livre de Jamey Brinkley. Il nous entraîne à Brooklyn, il nous entraîne dans le Bronx, surtout, il nous fait découvrir des jeunes garçons, des adolescents, des hommes, des hommes mûrs qui ont tous pour point commun d’être noir dans l’Amérique d’aujourd’hui – et d’hier un peu, parce que les nouvelles sont parfois écrites de manière rétrospective, ou nous entraîne dans le passé des personnages.
Etre un homme, ce n’est pas facile. Être un homme noir qui essaie de se faire une place dans la société non plus. Même si la question du racisme n’est pas abordée de front, elle surgit, tout de même, en filigrane. Lincoln, le héros de « Lucky man », la nouvelle éponyme, aurait-il été pris à partie de la même façon par une femme blanche si lui-même avait été blanc ? Curtis, le héros « d’Une famille », sait que sa condamnation aurait été moindre s’il avait été blanc. Certains ont pourtant très bien réussi dans la vie, comme Wolf, si ce n’est que ce n’est pas suffisant aux yeux de son père, si ce n’est que l’on peut se demander s’il est vraiment heureux. C’est une des rares nouvelles où le personnage féminin qui lui est opposé est aussi fort : Rhonda n’en a rien à faire de ce que l’on pense d’elle, de ce que l’on peut dire d’elle, des états d’âme de Wolf, qui ressemble à tant d’hommes qu’elle a côtoyés dans sa vie. Ah non, je devrai parler aussi de Sulay, la compagne de Carlos, belle-soeur du narrateur de Tout ce que mange la bouche : elle aussi dit ses quatre vérités à son beau-frère, et ce n’est pas son manque de capacité à renouer les liens avec son frère qui l’empêchera elle de mener sa vie avec compagnon et fille.
Oui, je m’intéresse dans ce recueil plus aux femmes qu’aux hommes, même si elles n’apparaissent parfois qu’en filigrane, parce qu’elles sont souffrantes, parce qu’elles ont trop tôt disparu de la vie de leur enfant. Pensée aussi pour Alexis, qui a quitté son mari Lincoln, provisoirement ou définitivement, c’est difficile à déterminer – pour lui. Pensée pour Arlène, qui accueille les gamins du centre aérée dans sa maison, sous le haut patronage de sœur Paméla, et qui espère en avoir enfin un à elle.
Pensée aussi à tous ces garçons à qui on a dit d’être des hommes et qui ne sont pas parvenus à se définir, se construire. Il y a comme un goût amer dans certains textes, dans « Tout ce que mange la bouche » : les deux frères, séparés par la violence qu’ils ont connue enfants, ne parviennent pas à se rapprocher complètement, tout comme le jeune garçon de « La parade J’ouvert 1996 », qui cherche à protéger son petit frère. Même la nouvelle qui ouvre le recueil est tout sauf parfaitement sereine, comme si ces deux jeunes hommes n’arrivaient pas à formuler vraiment ce qu’ils désirent. Que dire également de Curtis, qui finalement prend presque la place de son meilleur ami décédé auprès de sa compagne et de son fils.
Ce n’est pas que ce recueil est inabouti, c’est qu’il nous montre des destins inachevés, remplis d’ombres et de regrets.