« Karoo »
Editeur : Monsieur Toussaint Louverture éd. - 2012
Pages : 608 p.
Genre : roman contemporain
Résumé quatrième de couverture :
Achevé quelques jours avant la mort de Steve Tesich [1942-1996], Karoo est le chant du cygne d'un auteur hors norme. Ce roman est l'odyssée d'un riche consultant en scénario dans la cinquantaine, Saul « Doc » Karoo, gros fumeur et alcoolique, écrivaillon sans talent séparé de sa femme et traînant plusieurs tares émotionnelles. En tant que script doctor pour Hollywood, Saul Karoo mutile et « sauve » le travail des autres. En tant qu'homme, il applique le même genre de contrôle sournois à sa vie privée et se délecte de nombreuses névroses très particulières : son incapacité à se saouler quelle que soit la quantité d'alcool absorbée, sa fuite désespérée devant toute forme d'intimité, ou encore son inaptitude à maintenir à flot sa propre subjectivité. Même s'il le voulait, il ne pourrait pas faire les choses correctement, et la plupart du temps, il ne le veut pas. Jusqu'à ce qu'une occasion unique se présente à lui : en visionnant un film, il fait une découverte qui l'incite à prendre des mesures extravagantes pour essayer, une fois pour toutes, de se racheter. Si Karoo est bien l'ambitieux portrait d'un homme sans coeur et à l'esprit tordu, c'est aussi un pur joyau qui raconte une chute vertigineuse avec un humour corrosif. C'est cynique. C'est sans pitié. C'est terriblement remuant. C'est à la fois Roth et Easton Ellis, Richard Russo et Saul Bellow.
Avis :
Un livre très dense et très profond sur le sens de la vie et de la rédemption. Ca fait un peu pompeux dit comme ça mais je ne vois pas trop comment le dire autrement. En même temps c’est un livre qui se lit très bien, pas beaucoup d’action mais beaucoup de réflexion qui amène à réfléchir sur nos motivations.
Ici, on parle d’un homme qui a socialement et financièrement réussi. Il a la reconnaissance de ses pairs mais il ne se fait pas d’illusion sur lui-même : doué pour réécrire ou « cassé » les scénarios d’auteurs de films pour qu’ils correspondent aux attentes des riches producteurs, il sait qu’il est un véritable destructeur, même de ce qui aurait pu être des chefs-d’œuvre du cinéma. Lui-même est d’ailleurs incapable de « produire », d’écrire quoi que ce soit.
Fuyant de façon maladive toute intimité, que ce soit avec ses amis, sa femme et surtout son fils, qui en aurait pourtant besoin pour pouvoir enfin mener sa propre vie, il aime aussi, par facilité, se mouler dans les attentes des autres. Par exemple, il veut arrêter de boire ou de fumer mais pour ne pas décevoir ses proches qui voient en lui un buveur et un fumeur invétéré, il s’y remet. Un personnage peu sympathique me direz-vous et pourtant on ne parvient jamais à le détester car on sait qu’on fond de lui il est très mal dans sa peau, qu’il aimerait réellement se racheter et qu’il y a du bon en lui.
Cette volonté de rachat et d’améliorer sa vie va pourtant avoir des conséquences dramatiques… Je n’en dis pas plus mais comme on dit « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Comme un héros de tragédie grecque, il va payer très cher sa volonté de vouloir faire le bien à l’image d’un dieu, cet orgueil « hubris » démesuré qui le pousse à vouloir changer le destin d’autres hommes.
Les rapports de force entre Karoo et d’autres personnages comme le riche producteur qui va l’employer, l’impossibilité de se racheter, la difficulté de se sortir du moule dans lequel les autres aiment à vous enfermer, le manque de volonté de Karoo sont décrits avec beaucoup de finesse, de justesse et compréhension.
Un coup de cœur pour la description de ce terrible producteur qui est décrit comme le nouvel homme moderne (le roman se situe à la toute fin des années 80) parce que j’y ai vraiment retrouvé ces « nouveaux » hommes – ou femmes - des années 90 et 2000, agissant sans passion, sans envie, sans sentiment et manipulateur des sentiments humains jusqu’au bout des ongles. Ce n’est même pas une ambition démesurée, le pouvoir ou l’argent qui les font agir mais un manque total d’empathie pour autrui. Terrifiant !
Un livre qui pourrait paraître très pompeux mais pourtant magnifique, et qui a été le coup de coeur bien compréhensible de plusieurs libraires.
Livre à tiroir il mériterait même une relecture et il a cette capacité qu’on trouve rarement de faire réfléchir ou de faire ressentir différemment les choses selon le lecteur qui le lit et de pouvoir amener à de nombreuses discussions.