Présentation de l’éditeur :Livre d’entretiens, mais aussi réflexion philosophique et autobiographique, un essai indispensable pour décrypter l’oeuvre de l’auteur de 1Q84, la trilogie au succès planétaire.
Le 20 mars 1995 se produisait l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré au Japon : en pleine heure de pointe, des adeptes de la secte Aum répandent du gaz sarin dans le métro de Tokyo, tuant douze personnes, en blessant plus de cinq mille.
Très choqué, mais aussi révolté par le traitement médiatique par trop manichéen de la tragédie, Murakami va partir à la rencontre des victimes et de leurs bourreaux : rescapés du drame et adeptes de la secte.
Au fil des entretiens apparaissent tous les grands thèmes chers à Murakami : l’étrangeté au monde, l’impossible quête d’absolu, le mal venu des profondeurs, ces little people présents en chacun de nous, incarnations des forces destructrices qui nous font basculer parfois vers l’irréparable …
Mon avis :Attention, chef d’oeuvre. Ce livre a mis seize ans avant d’être traduit en français, et je trouve réellement que c’est dommage. Vous me répondrez qu’il y a seize ans, j’entrai en licence de lettres, et je serai passé à côté de ce livre. Moi, sûrement, les fans de l’auteur, non.
Tout comme De sang-froid, de Truman Capote, ce livre devrait être lu par tous ceux qui veulent écrire à partir de faits réels, par des journalistes qui confondent témoignages et quête du sensationnel. La pauvreté de nos émissions de "témoignages" françaises est altérante : n’importe qui peut témoigner de n’importe quoi, et ne s’en prive pas dans notre pays.
Au Japon, témoigner n’est ni naturel ni culturel. On ne se raconte pas, ne s’épanche pas, on ne se plaint pas. On ne revient pas inlassablement sur le passé, on le dépasse pour aller de l’avant.
Murakami a respecté la volonté de ceux qu’il a interviewé, renonçant à publiant les témoignages de ceux qui s’y sont refusé. Les noms ne sont pas changés, sauf nécessité (hors de questions que des journalistes viennent harceler une des victimes, qui souffre toujours de graves séquelles deux ans après).
La première partie, la plus longue, est consacrée aux survivants, ou aux proches des victimes. Murakami s’efface totalement devant chaque témoignage, et montre, dans la courte présentation qu’il consacre à chacun (le seul moment où l’on entend sa voix), il se montre le plus juste possible dans le portrait qu’il dresse d’eux. Il leur donne véritablement la parole. Je ne vous cache pas que ces voix sont particulièrement émouvantes et sensibles, j’ai eu de la peine à les quitte.
La seconde partie répond à une demande : faire entendre la voix des membres de la secte, en aucun cas des personnes ayant participé aux attentats. Elle est sidérante, et répond à l’interrogation de Murakami : comment des personnes instruites, brillantes, des personnes qui auraient pu être lui, en sont arrivés là ? Là, il ne se tait pas, nous lisons ses questions, ses réactions, face à ses personnes qui ne regrettent pas leur engagement, et doutent même, parfois, qu’Aum soit responsable de ce qui s’est passé dans le métro.
Underground : un livre choc, à lire absolument.