Joseph
Edition Buchet-Chastel – 140 pages.
Présentation de l’éditeur :
Joseph est un doux. Joseph n ‘est pas triste, du tout. Joseph existe par son corps, par ses gestes, par son regard ; il est témoin, il est un regardeur, et peut-être un voyeur de la vie des autres, surtout après la boisson, après les cures. Il reste au bord, il s’abstient, il pense des choses à l’abri de sa peau, tranquille, on ne le débusquera pas.
Mon avis :
Ma crainte est double en chroniquant ce roman : d’abord, qu’il passe inaperçu au cours de cette rentrée littéraire 2014 qui, finalement, est presque terminée (nous sommes en mai), ensuite ne pas parvenir à transmettre mon ressenti (un peu de mal à écrire en ce moment, voir la quantité de livres lus mais non encore chroniqués).
Si j’ai été sensible à ce livre, c’est parce qu’il parle d’une époque qui est elle aussi quasiment terminée, celles où des hommes pouvaient devenir « journaliers » c’est à dire des ouvriers agricoles, travaillant dans les fermes pour une journée, ou plus si nécessaire. Joseph a de la chance, pour la fin de sa carrière, ses patrons sont bons, ils prennent soin de leur ferme, de leur ouvrier. Tous les patrons ne sont pas ainsi (ce qui explique aussi la disparition de cette profession, pourquoi payer un ouvrier quand une machine peut faire le travail ?). J’ai aussi pensé à Annie Ernaux en lisant ce livre, puisque le destin du frère de Joseph, Michel, est proche de celui de ses parents. Il ne voulait pas reprendre la ferme que louait son père, il s’est donc élevé socialement grâce à son mariage avec Caroline, une maîtresse femme qui sait ce qu’elle veut, et ne l’obtient pas toujours. Elle voulait un fils, elle eut du mal à se remettre d’avoir des jumelles. Ce ne sont que des filles, même si elles sont deux. Elle a cependant réussi à convaincre sa belle-mère de les suivre, et d’élever les jumelles. Nul regret pour la mère de Joseph, qui n’emportera quasiment rien de son passé et ne reviendra dans sa région natale que pour y être enterrée. Que de non-dits, de souffrances aussi se cachent derrière cette décision : son mari était alcoolique, avant lui, son beau-père. Son fils Joseph le sera aussi, comme une fatalité héréditaire.
Pas de dialogue dans ce roman, les paroles sont toujours intégrées au récit, comme si elle parvenait à Joseph à travers un filtre. Comme si, aussi, elles étaient un peu convenues, machinales, comme si aussi Joseph ne voulait pas se laisser toucher par les émotions. Je pense notamment à sa rencontre et à sa vie commune avec Sylvie, sur laquelle un sévère jugement populaire a dû peser, qu’il s’agisse de sa conduite, ou des conséquences sur la vie de Joseph. D’ailleurs, Joseph parle peu, la seule à laquelle il parle véritablement est la psychologue qui le prend en charge lors d’une de ses « cures » contre l’alcoolisme – sans doute parce qu’elle est la seule qui l’écoute réellement.
Joseph et les siens vivent des vies que personne ne pense plus vivre. Des vies dures, âpres, difficiles, des vies sans plaisir et sans amour, sans démonstration d’amour. Il n’est guère que Régis et Régine, les deux derniers patrons, qui semblent éprouver de la tendresse l’un pour l’autre, tout en jugeant assez durement le choix de leur fils – une institutrice ! Enfin, une professeur des écoles ! Je confirme : cela ne se fait pas, dans une ferme, d’avoir une conjointe qui ne puisse pas mettre la main à la pâte. Une vie à l’écart du monde et de ses secousses aussi. On parle déjà peu de politique agricole commune, ce n’est pas pour discuter de ce qui se passe à l’autre bout de la terre.
Joseph est le roman de ceux à côté de qui l’on passe sans les voir.
Edition Buchet-Chastel – 140 pages.
Présentation de l’éditeur :
Joseph est un doux. Joseph n ‘est pas triste, du tout. Joseph existe par son corps, par ses gestes, par son regard ; il est témoin, il est un regardeur, et peut-être un voyeur de la vie des autres, surtout après la boisson, après les cures. Il reste au bord, il s’abstient, il pense des choses à l’abri de sa peau, tranquille, on ne le débusquera pas.
Mon avis :
Ma crainte est double en chroniquant ce roman : d’abord, qu’il passe inaperçu au cours de cette rentrée littéraire 2014 qui, finalement, est presque terminée (nous sommes en mai), ensuite ne pas parvenir à transmettre mon ressenti (un peu de mal à écrire en ce moment, voir la quantité de livres lus mais non encore chroniqués).
Si j’ai été sensible à ce livre, c’est parce qu’il parle d’une époque qui est elle aussi quasiment terminée, celles où des hommes pouvaient devenir « journaliers » c’est à dire des ouvriers agricoles, travaillant dans les fermes pour une journée, ou plus si nécessaire. Joseph a de la chance, pour la fin de sa carrière, ses patrons sont bons, ils prennent soin de leur ferme, de leur ouvrier. Tous les patrons ne sont pas ainsi (ce qui explique aussi la disparition de cette profession, pourquoi payer un ouvrier quand une machine peut faire le travail ?). J’ai aussi pensé à Annie Ernaux en lisant ce livre, puisque le destin du frère de Joseph, Michel, est proche de celui de ses parents. Il ne voulait pas reprendre la ferme que louait son père, il s’est donc élevé socialement grâce à son mariage avec Caroline, une maîtresse femme qui sait ce qu’elle veut, et ne l’obtient pas toujours. Elle voulait un fils, elle eut du mal à se remettre d’avoir des jumelles. Ce ne sont que des filles, même si elles sont deux. Elle a cependant réussi à convaincre sa belle-mère de les suivre, et d’élever les jumelles. Nul regret pour la mère de Joseph, qui n’emportera quasiment rien de son passé et ne reviendra dans sa région natale que pour y être enterrée. Que de non-dits, de souffrances aussi se cachent derrière cette décision : son mari était alcoolique, avant lui, son beau-père. Son fils Joseph le sera aussi, comme une fatalité héréditaire.
Pas de dialogue dans ce roman, les paroles sont toujours intégrées au récit, comme si elle parvenait à Joseph à travers un filtre. Comme si, aussi, elles étaient un peu convenues, machinales, comme si aussi Joseph ne voulait pas se laisser toucher par les émotions. Je pense notamment à sa rencontre et à sa vie commune avec Sylvie, sur laquelle un sévère jugement populaire a dû peser, qu’il s’agisse de sa conduite, ou des conséquences sur la vie de Joseph. D’ailleurs, Joseph parle peu, la seule à laquelle il parle véritablement est la psychologue qui le prend en charge lors d’une de ses « cures » contre l’alcoolisme – sans doute parce qu’elle est la seule qui l’écoute réellement.
Joseph et les siens vivent des vies que personne ne pense plus vivre. Des vies dures, âpres, difficiles, des vies sans plaisir et sans amour, sans démonstration d’amour. Il n’est guère que Régis et Régine, les deux derniers patrons, qui semblent éprouver de la tendresse l’un pour l’autre, tout en jugeant assez durement le choix de leur fils – une institutrice ! Enfin, une professeur des écoles ! Je confirme : cela ne se fait pas, dans une ferme, d’avoir une conjointe qui ne puisse pas mettre la main à la pâte. Une vie à l’écart du monde et de ses secousses aussi. On parle déjà peu de politique agricole commune, ce n’est pas pour discuter de ce qui se passe à l’autre bout de la terre.
Joseph est le roman de ceux à côté de qui l’on passe sans les voir.