Il bouge encore
Edition Robert Laffont - 256 pages.
Présentation de l'éditeur :
" Trop de rituels. Vautré sur un banc, face aux murs d'une école, le coccyx malmené par la dureté du bois, les jambes écartées et le regard flou, Antoine les a énumérés. Puis il les a trouvés suspects. Trop nombreux, donc suspects. Il s'est dit qu'ils avaient lissé sa vie, qu'il avait laissé son existence s'aplatir sous leur poids. Ils ont décapité les reliefs, comblé les aspérités, ils lui ont fait une petite vie, ces rituels, toute petite et prévisible. Sans le fard du travail, elle lui est apparue, elle est venue le frapper au visage, sa vie, lui serrer la gorge. "
Par un matin ensoleillé, Antoine est licencié. Le choc est brutal. Son couple tangue, ses certitudes s'effondrent, son ego vacille. Mais à mesure qu'il se libère de ses habitudes, d'une consommation vengeresse et de l'agitation stérile qui l'avaient mû jusque-là, la vérité se fait jour.
Il bouge encore raconte cette odyssée sédentaire qui lui rend la vue.
Mon avis :
Je serai brève : je n'ai eu aucun atome crochu avec ce livre. Il dépeint sans doute une réalité du monde du travail et des trentenaires des années 2010, mais ce monde m'est totalement étranger.
Antoine et Mélanie travaillent dans des sociétés aux langages abstraits, où il convient de faire du profit, d'écrabouiller les concurrences ou les rivaux, où il faut être "opé", quitte à employer des aides médicamenteuses pour cela. Il faut en mettre plein la vue aux autres, par son appartement, par son mariage (pourquoi se marier si on n'épate pas les amis ?), par ses enfants, aussi, preuve de sa réussite sociale : Elle s'était vue annonçant à ses copines, à son frère, à ses parents, à sa boss même, elle s'était entendue, frissonnante, prononcer les mots "j'attends un enfant", elle avait joui à l'avance de cette nouvelle inscription sociale, "être parent", dire "mon fils", ça claque "mon fils". Vous remarquerez qu'elle veut "un fils", et non "une fille". Le féminisme n'a vraiment pas droit de citer pour Mélanie, qui adore parler avec une voix de petite fille, formule de protection dérisoire. Elle ne cherchait pas non plus l'amour mais "un mâle reproducteur", qu'elle a "ferré" comme un poisson. Pour ses copines, même constat : elles ne peuvent se construire seules, il leur faut un homme et un enfant. Sommes-nous vraiment en 2014 ? Mélanie ne veut rien voir, ni de son couple, ni du monde extérieur, avec l'excuse bienvenue qu'elle "bosse comme une tarée".
Pour Antoine, ce chômage lui permet de se rendre compte qu'il s'est leurré sur ses amis, qu'il les connaît moins bien qu'il le croyait. L'homme qu'il est devenu ne lui plaît pas vraiment, alors il va changer, dit-il. Ce qui est fascinant est la capacité de ce couple à ne pas se parler, mais à crier, hurler ou pleurer (pour Mélanie), s'injurier avec une intense vulgarité à chaque fois qu'ils entament une discussion. Le style est d'ailleurs très souvent proche de l'oralité, entre terme cru et syntaxe relâchée.
Antoine, pendant les trois quarts du roman, n'a suscité aucune empathie chez moi (et je peux vous dire que le style m'a fait plusieurs fois tomber le livre des mains). Plus il se libère, plus il ouvre les yeux sur qui il a été, plus il devient intéressant, tout en conservant des traits à faire grincer les dents du lecteur. Il a encore bien du chemin à parcourir, ce cher Antoine.
Un roman que j'ai terminé pour écrire cet avis, mais que j'ai bien du mal à conseiller.