Grégoire et le vieux libraire
éditions Albin Michel – 234 pages
Présentation de l’éditeur :
Ancien libraire, monsieur Picquier s’est vu contraint de déménager 3 000 volumes dans son petit chez-lui. Oui mais voilà, il ne peut plus profiter seul de sa passion, puisque la maladie de Parkinson l’empêche de lire, et va donc devoir demander de l’aide à l’apprenti-cuisinier Grégoire, qui va découvrir avec ce vieux maître les joies de la lecture.
Mon avis :
C’est une histoire de vie et de mort qui nous est contée dans ce livre. Une histoire d’amour aussi, d’amour de la vie et des livres. Elle se passe dans un lieu sur lequel on a peu l’habitude de braquer le feu des projecteurs : une EHPAD, où les seniors sont amenés à finir leur jour, dans un 9 m². Dans ces chambres personnels (admirez le confort), ils ont le droit d’emmener un peu de leur vie – juste un peu, que peut-on mettre dans 9 m² ? Monsieur Picquier, lui, a choisi d’emporter le plus de livres possibles de sa défunte librairie – 3000 en tout. Il a même renoncé à une télévision pour avoir plus de place, ce qui suscite, bien sûr, des commentaires. Qui peut se passer de télé ?
Grégoire, lui, est un homme qui passe inaperçu, comme il est passé inaperçu à l’adolescence. Il fait partie de ses 20 % de lycéens qui n’ont pas eu leur précieux baccalauréat, et au lieu de songer à se trouver une nouvelle orientation professionnelle, il a trouvé un travail, aidé par sa mère, une de ses femmes qui, pour joindre les deux bouts, travaille continuellement. Il exerce le métier d’apprenti-cuisinier, sans véritable espoir de monter en grade, en fait, son véritable métier semble plutôt bouche-trou, surtout pendant les congés d’été, quand il se retrouve à la blanchisserie. Mais monsieur Picquier a d’autres ambitions pour lui, et va faire de lui un lecteur.
Ne croyez pas pourtant que tout soit rose. De ce plaisir un peu égoïste au début – monsieur Picquier a obtenu que Grégoire lise, mais au début, c’est pour lui seul, on obtient ensuite un rendez-vous de lecture presque quotidien pour les pensionnaires de cette maison. Chaque journée n’est pas une victoire, chaque journée peut être aussi morne que la précédente si l’on n’y met pas encore du sien. Encore faut-il oublier non pas que l’on est malade, non pas que l’on est « en fin de vie », mais oublier que l’on est seul, soit parce que les êtres aimés ne sont plus, soit parce qu’ils n’en ont rien à faire de ceux qui vivent entre ses murs clos, bien à l’écart des autres. Alors, lire, c’est encore être vivant. Les livres dont il est question dans ce livre ne sont jamais considérés de manière pédante, distancié, on ne nous impose pas un jugement à l’emporte pièce. Monsieur Picquier est lucide sur le rôle du libraire, et sur la difficulté de bien le mener. Soyons aussi lucide que lui !
Quelques citations pour terminer :
« Quand t’es libraire, tu lis toujours avant les autres. C’est prétentieux, tu sais, de lire avant les autres et de décider de ce qui est important de ce qui ne l’est pas. De quel droit ? De quel droit s’approprier le pouvoir de diffuser un texte plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui te donne cette légitimité ? C’est là que tu t’inventes ce rôle qui t’autorise à dire selon tes goûts, tes enthousiasmes et tes tocades : « Lisez ce livre » ou « Ne le lisez pas » !
« On ne construit pas des parcs à vieux à l’extérieur des villes pour en entendre parler de la sorte. Silence EHPAD ! Pas de bruit, on meurt et pendant ce temps, de l’autre côté, à défaut de vivre, on trime. "