« L’Art français de la guerre »
Editeur : Gallimard - 2011
Pages : 633 p.
Genre : roman contemporain/guerre/histoire
Résumé quatrième de couverture :
J'allais mal; tout va mal; j'attendais la fin. Quand j'ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l'avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède, qui n'arrive pas à finir, il avait parcouru le monde avec sa bande armée, il devait avoir du sang jusqu'aux coudes. Mais il m'a appris à peindre. Il devait être le seul peintre de toute l'armée coloniale, mais là-bas on ne faisait pas attention à ces détails. Il m'apprit à peindre, et en échange je lui écrivis son histoire. Il dit, et je pus montrer, et je vis le fleuve de sang qui traverse ma ville si paisible, je vis l'art français de la guerre qui ne change pas, et je vis l'émeute qui vient toujours pour les mêmes raisons, des raisons françaises qui ne changent pas. Victorien Salagnon me rendit le temps tout entier, à travers la guerre qui hante notre langue.
Avis :
« L’Art français de la guerre », un livre complexe à résumer et j’ai peur d’oublier ici une partie de ce que j’ai ressenti – ou appris – à la lecture de ce roman.
Tout d’abord j’ai détesté le narrateur qui vomit sur tout ce qui n’est pas politiquement correct : que la vie serait simple s’il y avait les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Il partait dans des élucubrations trop indigestes pour moi. Ce qui m’a fait tenir c’est sa rencontre avec Victorien Salagnon, soldat et peintre qui a fait, armé de son fusil et de son pinceau, la « guerre de vingt ans »: la Seconde Guerre Mondiale, l’Indochine et surtout l’Algérie.
Une chose ressort du récit de ces trois guerres : notre monde, notre société en portent encore les stigmates. Nous en sommes les héritiers, même si pour les gens de ma génération ça semble moins évident. Et pourtant, en refermant ce livre, impossible de se dire que ces guerres et en particulier la guerre d’Algérie, la « guerre de colonie », n’ont pas marqué à jamais la France.
Le début de l’amitié entre le narrateur, homme sans attache, qui laisse sa vie dériver tout doucement sans jamais vraiment y participer et Victorien Salagnon (je pense que son prénom n’est pas innocent pour un personnage de soldat qui a participé à trois guerres qui ont été à chaque fois des défaites françaises) est marqué par l’amour de la peinture : Victorien sait peindre, le narrateur souhaite apprendre. Mais ce qu’il va surtout apprendre au narrateur ce sont les trois guerres vécues de l’intérieur.
Pressé de fuir un père veule, le jeune Victorien tombe par hasard dans la Résistance à la suite de son oncle pour lequel il a énormément d’admiration. Celui-ci jouera plus ou moins le rôle de mentor pour Victorien tout au long des trois guerres qu’il fera lui aussi. Au vu de la façon dont Victorien prend le maquis, on se dit qu’à cette époque on peut se retrouver dans un camp ou dans l’autre par pur hasard. Ce qui ressort aussi du récit de cette guerre c’est l’absurdité de la mort, la lâcheté de ceux qui retournent vite leur veste quand le vent tourne et les liens qui se tissent avec les « camarades » de combat. A ce titre on notera le rapprochement entre les français du continent, ceux d’Algérie et les algériens de souche.
L’Indochine sera un tout autre monde, un monde que les coloniaux français n’ont jamais compris, un monde dans le quel on se demande ce qu’ils sont venus faire. Là-bas, ils font la guerre avec rien et pourtant ils mettent à mal l’armée française. La moiteur, le sentiment d’étouffement, l’impossibilité de survivre à ce pays, voilà ce que j’ai ressenti au récit de Victorien. J’avais sans arrêt la chanson de Michel Sardou « La Débandade » qui me revenait en tête. On n’assiste pas à Dien Bien Phû mais on sent bien qu’il s’agit là d’une défaite annoncée. Ca aide aussi à mieux comprendre le bourbier vietnamien dans le quel se sont enfoncés les américains.
Nous nous battions pour notre pays lors du 1er récit, même si cette victoire a davantage était celle des Alliés, en Indochine, nous n’avons rien à y faire. Il ne s’agit pas de jugement ou d’analyse géopolitique, c’est juste ce que j’ai ressenti à la lecture des récits de guerre de Victorien.
Noter aussi l’absurdité de se battre pour libérer son pays et par la suite de se battre pour garder le joug sur un autre…
La dernière guerre et sans doute la plus marquante sera la Guerre d’Algérie. Comment en parler, c’est très difficile car la situation était très complexe : entre les soldats français du continent obligés de torturer, de « casser de l’arabe », eux qui n’ont pas de nom ou de nationalité propre puisque l’Algérie c’est la France, mais qui vont pourtant perdre la seule nationalité qu’ils connaissaient lorsque l’Algérie deviendra indépendante, les français d’Algérie pour lesquels c’est le seul pays qu’ils connaissent, et les indigènes puisqu’il faut les appeler ainsi, comment trancher, comment ne pas tomber dans la barbarie et les règlements de compte ? Cela semble hélas impossible, de tous ceux qui ont connu cette guerre, aucun ne ressortira indemnes. Contrairement à la France, on ne peut pas dire que ce pays est nôtre, encore qu’on peut toujours se demander ce que l’on peut appeler nôtre, mais en même temps ce n’est pas non plus l’Indochine, les colons français d’Algérie se sont parfaitement intégrés à ce pays, l’ont fait leur. Mais, il reste ce grand « mais », les arabes, eux, n’ont jamais fait vraiment partie de cette Algérie française. Les petits fermiers d’origine française diront tous qu’ils s’entendaient bien avec leur femme de ménage arabe mais comme le dit le narrateur si eux l’appellent par leur prénom, leur femme de ménage elle n’osera jamais en faire autant. Tout est dit dans ce simple exemple. La torture, les représailles et la barbarie sont présents dans les deux camps, ce qui aidera Victorien à rester humain c’est sa peinture, toujours sa peinture qui le sauve. Tous ne peuvent pas en dire autant comme son ami Mariani aujourd’hui fondateur d’un groupe xénophobe, surarmé et prêt à se battre. Lui n’est pas sorti indemne de l’Indochine et de l’Algérie, il garde en lui ce sentiment d’avoir laissé tomber une partie des algériens, ceux originaires de France, ces pieds-noirs dont on n’a su que faire après l’Indépendance, qu’on relégué dans un coin car il était trop difficile et trop douloureux de penser à eux… Eurydice (là aussi le prénom n’est pas anodin), pied-noir de père à moitié grec à moitié juif, compagne de Victorien en gardera une haine profonde contre la guerre et contre les hommes qui la font. Son père, quant à lui, perdra tout espoir et sera submergé par l’incompréhension lorsque ses « amis » arabes d’hier, se retourneront contre lui.
Je parlais de la France, comme de notre pays, mais quand peut-on dire qu’un pays est nôtre ? Le narrateur se pose souvent la question et se rend compte que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. Heureusement que son discours devient plus modéré et moins manichéen par la suite car j’avais un peu de mal à le comprendre. Ce que j’ai compris de ce roman, et je l’avoue il y a des choses qui m’ont échappées, qui sont hors de ma compréhension concernant la nationalité ou la citoyenneté (trop ardu à lire), c’est que c’est la langue qui détermine un pays. C’est ce qu’affirme en tout cas le narrateur. Pour ma part je dirai que c’est en partie vrai mais est-ce tout ? Question là aussi complexe et je pense que la réponse ne peut pas être unique.
Ce qui m’a aussi marqué dans ce roman, c’est le rapprochement qu’a effectué l’auteur entre les français et les immigrés notamment ceux du Maghreb : ce qui causerait nos incessantes disputes ce ne sont pas nos différences mais au contraire le fait que nous nous ressemblons trop avec nos volontés de toujours vouloir nous battre, de supplicier les corps, ce terrible « art français de la guerre ».
C’est ce que je retire de ce roman, certaines choses m’ont paru obscures à comprendre, j’en ai peut-être mal interprétées d’autres et je pense que d’autres lecteurs liront d’autres choses dans ce roman.
En tout cas, c’est un roman qui émeut et qui retourne. Les récits de guerre de Victorien sont incroyables de réalisme, de sensations et de questionnement et, loin des clichés et de tout manichéisme, la parole est donnée à plusieurs protagonistes.