Minuit vingt
Edition Albin Michel - 246 pages.
Présentation de l’éditeur :
Dans un Porto Alegre accablé par la chaleur et paralysé par une grève des transports, trois amis se retrouvent plus de vingt ans après s’être perdus de vue. À la fin des années 1990, ils avaient lancé un célèbre fanzine numérique, et ce qui les réunit aujourd’hui, c’est la mort du quatrième membre de la bande ; devenu entre-temps un écrivain très en vue sur la scène
brésilienne : Andrei Dukelsky, surnommé « Duc », assassiné en pleine rue pour un stupide vol
de portable. À l’occasion de ces retrouvailles, chacun des trois personnages raconte sa propre histoire à la façon d’un puzzle et se remémore le tournant du millénaire, esquissant le portrait
incertain de l’ami disparu et le roman d’une génération qui doit tout réinventer, à commencer par son rapport au monde à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux.
Mon avis :
J’ai tardé à livrer cet avis, ne serait-ce que parce que j’ai réussi (si, si) à égarer mon premier brouillon. Vu le résultat des dernières élections au Brésil, j’ai l’impression que cette chronique, tout comme ce livre, sonnera différemment, parce que les personnages qui parcourent ce roman pourraient se retrouver impacter par cette élection.
Ce roman est celui d’une génération, ce qui peut sembler un cliché de dire cela, pourtant c’est une génération qui est bien consciente de ce qu’elle a vécue. Les trois amis, qui se partagent la narration au cœur de ce roman choral, ont vécu le passage à l’an 2000, ils ont vécu la naissance d’internet, et de ses immenses possibilités. Le mot d’ordre était la créativité, le mot d’ordre actuellement est plutôt le partage de sa vie privée – ou comment il est difficile de la préserver, et comment, à cet égard, le parcours de « Duc » est exemplaire de par son utilisation des réseaux, ou plutôt de sa manière directement détournée de le faire.
Duc. Il est le point de rencontre des trois amis, des trois survivants, qui s’approchent doucement de la quarantaine, parce que dans cette société où il est parfois difficile de trouver sa place, Duc a été assassiné par un voleur. Fin de vie absurde qui confronte les survivants au deuil, à l ‘examen de ce qu’ils sont devenus, mais aussi à la nécessité de tenter de dresser un portrait de leur ami disparu, écrivain à succès, sans pour autant qu’il ait cherché le succès à tout pris.
C’est Aurora qui prend la parole en premier, c’est elle qui clôturera également le récit. Elle est proche de ses parents, qu’elle affectionne et avec lesquels elle peut faire preuve d’humour : Je lui [à son père] ai répondu que j’avais seulement besoin de mes graines d’Arabidopsis et de mes pieds de canne à sucre pour mes recherches, mais que j’avais un ami à l’université qui étudiait les effets de la cigarette et de la charcuterie sur l’organisme des vieilles têtes de mule et que sa carcasse pourrait en effet l’intéresser. Elle prépare un doctorat, se sent proche de la nature, s’intéresse en fait à des domaines que le commun des mortels ne voit pas, tel le sujet très pointu de sa thèse. Ce pourrait être un constat que je fais pour les autres personnages. Emiliano est journaliste, gay assumé, éprouvant des difficultés à mener une histoire d’amour à cause de son intransigeance même – ou comment reprocher à son petit ami du moment d’être végan et d’avoir fait stériliser son chat. Le troisième est finalement celui qui se tait le plus, celui à qui est dédié pourtant le chapitre central. Personnage tout aussi complexe que les autres, il oscille entre une vie de famille réussie, une vie professionnelle réussie aussi, et la recherche de plaisirs sexuels différents – ou comment internet et la diffusion de la pornographie permet de vivre sa sexualité autrement.
Minuit vingt est un livre court, et pourtant, il est très riche par les thèmes qu’il aborde, par les interrogations qu’il suscite. Certaines craintes peuvent surprendre, cependant ce n’est pas parce qu’elles sont surprenantes que des personnes ne les ressentent pas.
Un roman riche et passionnant.